jeudi 11 septembre 2008

Le gâchis scolaire





Dans une lettre au Journal de Montréal, l'ancien premier ministre Jacques Parizeau tire sur la sonnette d'alarme et demande au ministère de l'Éducation du Québec d'expliquer «l'effondrement du système de l'enseignement public français». Une situation qu'il juge «scandaleuse».


11/09/2008 08h30

Au début de cet été, le ministère de l’Éducation publié un document intitulé Résultats aux épreuves uniques de juin 2007 et diplomation. Il s’agit de la compilation des résultats des examens imposés par le Ministère pour sanctionner la fin des études secondaires.

Une section de ce document cherche à répondre à la question suivante : de tous les élèves qui sont entrés en 1re année secondaire au cours d’une année donnée (et qui sont désignés comme étant une cohorte, par exemple, la cohorte 2000), quelle proportion va obtenir un premier diplôme à la fin de la année secondaire, donc après cinq ans en 2005 ? Le premier diplôme dont il s’agit, c’est évidemment le diplôme d’études secondaires (DES), ou un diplôme d’études professionnelles.

Comme tous les élèves ne réussissent pas du premier coup, on va aussi établir la proportion de diplômés six ans et sept ans après l’entrée en 1re secondaire.

Il ne s’agit que des jeunes ; on ne tient pas compte des adultes de plus de 20 ans. Pour l’ensemble du Québec, le nombre de diplômés après cinq ans représente, en 2007, 59% de la cohorte de 2002. En somme, moins de 60% de tous ceux et celles qui étaient en- trés en 1re secondaire vont avoir leur diplôme en cinq ans. C’était un peu plus élevé (61%) pour les cohortes de 2000 et 2001, mais le même niveau pour celle de 1999. Tout est compté: l’enseignement privé, public, anglais et français. Il n’y a donc que trois jeunes Québécois sur cinq qui suivent le cheminement régulier de leurs études secondaires.

Continuons. Nous savons tous que les résultats sont meilleurs dans l’enseignement privé que public. Ça s’explique, puisque l’enseignement privé peut choisir ses élèves, alors que l’enseignement public ne le peut pas. De la cohorte 1999, 55 des élèves du secteur public ont eu leur diplôme après cinq ans, contre 80 % des élèves du privé. Pour ce qui a trait à la plus récente des cohortes, celle de 2002, l’écart s’agrandit encore, 53 % contre 83 %. C’est proprement effrayant. Mais ce n’est pas fini. Les chiffres dont je viens de faire état indiquent les résultats des élèves anglais comme français.

Il faut maintenant distinguer les ré- sultats des deux groupes, en tenant compte dans les deux cas des secteurs public et privé. Dans la cohorte 1999, 59% des élèves francophones obtiennent leur premier diplôme après cinq ans, contre 70% des élèves anglophones. Dans le cas de la cohorte 2002, les chiffres correspondants sont de 58% et 69%.

En lui-même, cet écart n’est peutêtre pas significatif. En vertu de la loi 101, les enfants d’immigrants doivent être inscrits dans le secteur francophone. L’apprentissage du français peut, peut-être, expliquer une partie de l’écart. Poursuivons dans le secteur public. Poursuivons notre démonstration.

On n’a pas tenu compte jusqu’ici de la disparité entre garçons et filles. On sait que les filles obtiennent de meilleurs résultats, ici comme dans bien d’autres pays. Nous allons dans ce cas-ci tenir compte du taux de diplomation après cinq ans d’études, après six ans et après sept ans. Peutêtre l’écart entre garçons et filles diminue-t-il avec le temps ? On ne retient du rapport du ministère de l’Éducation que les résultats dans le secteur public.

On le voit, le temps n’y change pas grand-chose, l’écart est à peu près constant. Ces chiffres mêlent cependant les résultats des réseaux français et anglais. Pour les distinguer, j’ai refait le même tableau pour la Commission scolaire de Montréal et pour la Commission scolaire English-Montréal. (ci-contre)


Après cinq ans, selon le cheminement normal des études, à peine plus du tiers des garçons ont obtenu leur premier diplôme (le chiffre exact est de 35,6%). Après sept ans, le nombre de garçons diplômés n’a pas encore atteint la moitié de la cohorte.

Voici les taux correspondants pour la Commission scolaire English-Montréal.

Le taux de diplomation après cinq ans des garçons anglophones est presque deux fois plus élevé que celui des garçons francophones. Après sept ans, comme nous l’avons vu, plus de la moitié des garçons francophones n’ont toujours pas de diplôme, contre à peine plus de 20 des élèves anglophones.

Un écart aussi prodigieux seraitil, comme je l’ai souligné plus haut, un effet pervers de la loi 101 ? Non. J’ai compté 13 commissions scolaires où le taux de diplomation des garçons après cinq ans est inférieur à 40 %. Dans la région des Laurentides, des quatre commissions scolaires, trois affichent des taux inférieurs à 40 %.

En fait, nous sommes simplement confrontés à une situation scandaleuse, à un formidable gaspillage qui compromet l’avenir. J’ai connu un tel choc en 1962 quand un recen- sement de la scolarité des Québécois avait fait ressortir que 54 des adultes de plus de 25 ans n’avaient pas dépassé la sixième année d’études. Le Québec avait le plus bas taux de scolarisation secondaire du monde dit civilisé avec le Portugal.

De ce recensement est sortie la Révolution scolaire, la partie la plus importante de la Révolution tranquille. On a construit, on a recruté, on a augmenté les impôts pour financer. On a brassé, ce qu’un auteur français d’autrefois décrivait comme «ce matériau qu’on appelle le million d’hommes ». C’était plus simple que de s’occuper de la qualité du système.

Ce n’est plus de ressources ni d’argent qu’il s’agit aujourd’hui, c’est à l’effondrement d’un système auquel nous assistons.

La situation est beaucoup trop sérieuse pour que l’on se contente du jeu habituel de la recherche des coupables des accusations de tout un chacun et des modifications de structure. Il faut d’abord poser un diagnostic correct. Qu’est-ce qui est arrivé ? Pourquoi en est-on là

Pourquoi les résultats du système anglais d’enseignement sont-ils à ce point meilleurs que ceux du système français ? On veut savoir et il n’ a que le ministère de l’Éducation qui puisse répondre. Depuis des années, par le truchement d’une succession de ministres des deux bords, dans un charabia brumeux, avec la complicité des facultés d’éducation, on s’est servi des jeunes comme de cobayes, on a imposé aux enseignants des contorsions intellectuelles étonnantes. Devant le gâchis que ses propres chiffres révèlent, il faut qu’il s’explique, le «Ministère». Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui se passe?

-Jacques Parizeau


Bernard Landry à Paul Desmarais

Publié le 9 septembre 2008 dans les quotidiens La Presse et Le Journal de Montréal.

Cher Paul Desmarais,

Nos divergences de vues n'ont jamais altéré l'estime que je vous porte. J'ai souvent fait votre éloge en privé comme en public et je vous considère comme l'un de nos

plus grands financiers. L'hebdomadaire français Le point, à qui vous avez donné une remarquable entrevue en juin dernier, vous présente, à juste titre, comme «une légende du monde des affaires».


Votre influence sur une partie des élites françaises est notoire. Le président, Nicolas Sarkozy, vous a récemment élevé au grade de grand-croix de la Légion d'honneur. Même René Lévesque ne fut pas décoré à un tel niveau.

Les visites à votre domaine de Sagard des présidents Bush et Clinton, du roi d'Espagne, du Cheikh Yamani, de Maurice Druon et bien entendu de Nicolas Sarkozy témoignent de l'ampleur et de la diversité de votre réseau international. J'ai appris, lors d'un récent séjour d'enseignement en Chine, que l'on vous considère dans ce pays comme l'un des premiers grands capitalistes occidentaux à avoir vu poindre sa formidable montée en puissance. Vous y êtes reçu, dit-on, mieux que de nombreux chefs de gouvernement.

Un tel prestige et la rareté de vos interventions publiques leur donnent une portée hors du commun. C'est pourquoi je considère qu'il est de mon devoir de citoyen de réagir à un propos stupéfiant que l'on retrouve dans cette fameuse entrevue au Point. Vous avez dit que «si le Québec se sépare ce sera sa fin».

Je me prends à espérer qu'une telle déclaration a dépassé votre pensée. Il ne pouvait être dans vos intentions de laisser entendre que 50% des électeurs qui ont voté OUI en 1995, dont la majorité des lecteurs de vos journaux, auraient voulu la fin de leur nation. Je présume que même ceux qui défendent avec honnêteté dans vos publications la «ligne éditoriale fédéraliste» obligatoire ont dû être surpris d'un tel énoncé.


Des États-Unis au Monténégro


Comment pourriez-vous penser un seul instant que notre nation qui a évidemment les moyens d'être indépendante, comme l'a dit d'ailleurs notre premier ministre en France l'an dernier, pourrait connaître sa fin en faisant ce que presque toutes les nations qui le peuvent, la plupart du reste, beaucoup moins bien nanties que le Québec, ont déjà décidé de faire. Connaissez-vous dans l'histoire une nation, à commencer par les États-Unis, en 1776, jusqu'au Monténégro, en 2006, qui, ayant accédé à la liberté, y aurait trouvé sa fin? Il me semble impérieux pour vous de rectifier cette déclaration aussi insoutenable et injuste qu'il ne le serait de prétendre que l'indépendance du Québec serait son commencement.

Comment un choix aussi normal pourrait être la fin de la nation qui a donné le jour aux courageux et inventifs Desmarais de l'île Marie en face de chez moi, qui ont conçu les fameuses chaloupes Verchères. Ces autres Desmarais qui ont créé et gèrent Power Corporation perdraient-ils leur génie des affaires si le Québec était libre. Nos nombreux dirigeants d'entreprises qui dominent le monde dans leur créneau seraient-ils moins doués et moins dynamiques si le Québec était membre de l'OMC et du FMI?

Les nombreux artistes québécois qui s'illustrent dans le monde entier, dont certains d'une prodigieuse manière, seraient-ils moins créatifs et brillants si leur nation était membre de l'UNESCO? Nos athlètes olympiques récolteraient-ils moins de médailles sous notre bannière fleurdelisée?

En quoi notre démocratie, à bien des égards exemplaire, serait-elle affectée négativement par notre présence aux Nations unies? Pourquoi notre solidarité profondément enracinée dans nos valeurs pourrait être dissoute par notre appartenance à la FAO, à l'OMS et à la Banque mondiale?

Avec l'indépendance, nos 45 000 mégawatts d'énergie propre, sans compter ce qui est à venir, auraient-ils moins de puissance? Notre prodigieuse dotation minière, nos forêts renouvelables et notre agriculture dynamique pourraient-elles perdre de leur valeur?

Le Point relate votre amitié avec tous les premiers ministres du Québec. Je le confirme en ce qui me concerne et c'est pour moi une raison supplémentaire pour vous poser ces quelques questions. La nation québécoise mérite que l'un de ses plus illustres membres leur donne une réponse articulée.

Photo: Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, et Paul Desmarais, lors de la soirée des récipiendaires du Mérite philanthropique 2002, décerné par la Chambre de commerce du Québec. (Archives La Presse)