mardi 31 mars 2009

Je ne me souviens plus

30 mars 2009 par Joseph Facal

Vous savez tous ce qui est écrit sur nos plaques d’immatriculation. Je me demande des fois si nous ne devrions pas être logiques avec nous-mêmes et revenir aux anciennes plaques qui disaient : La Belle Province.

Une vaste enquête menée auprès de 3119 répondants par les historiens Jocelyn Létourneau et David Northrup nous apprenait cette semaine que, de tous les Canadiens, les francophones du Québec sont les moins intéressés par leur propre histoire.

Cet intérêt était mesuré par la pratique (ou non) d’activités comme faire des recherches historiques sur Internet ou visiter un musée.

Jocelyn Létourneau poursuit depuis des années un travail sans ligne de démarcation très claire entre le militantisme en faveur de l’unité canadienne et la recherche universitaire. Mais il ne faut pas tirer sur le messager simplement parce que le message déplaît.

Le constat semble en effet aussi solide que brutal : ces Québécois qui se disent fiers de leur identité forgée par 400 ans de durs combats seraient de grands parleurs, mais de bien petits faiseurs. Comme ces gens qui font baptiser leurs enfants, mais qui ne vont jamais à l’Église.

Les deux historiens n’ont pas comparé les connaissances historiques des Canadiens des différentes provinces. Mais on peut présumer qu’elles reflètent le degré d’intérêt : si une chose ne vous semble pas importante, pourquoi feriez-vous un effort pour en savoir plus ?

J’expliquais l’autre jour à un de mes étudiants que cent-vingt ans avant Mario Dumont, Honoré Mercier parlait déjà d’«autonomie» pour le Québec. Son copain était persuadé que la Crise d’Octobre 1970 fut une récession économique. Et que le Québec fait partie d’un pays dont il n’a jamais signé la Constitution fut pour eux une révélation.

Comment les souverainistes pourraient-ils convaincre de quitter le Canada des gens qui ne savent pas ce que ce régime a fait subir aux francophones ?

Évidemment, toutes les sociétés modernes sont amnésiques. La vitesse des changements, l’arrivée d’immigrants qui ont leur propre histoire, l’accent mis sur une éducation «rentable», tout cela efface le passé.

Partout en Occident, on ne vit que pour le moment présent. L’évocation du passé passe pour une nostalgie un peu quétaine. Pour être branché, il faut «se-projeter-dans-l’avenir.» Comme si l’un devait exclure l’autre.

On ne se voit plus, ou si peu, comme le produit des générations antérieures. Logiquement, on ne se soucie donc pas non plus de ce qu’on va léguer à ceux qui nous suivront. C’est notamment pour cela que nous vivons à crédit depuis quarante ans.

Mais pourquoi est-ce que cela semble plus fort au Québec ? Après tout, Barack Obama cite Abraham Lincoln trois fois par jour.

On nous a longtemps présenté notre passé comme une Grande Noirceur. Alors pourquoi s’intéresser à quelque chose d’aussi négatif ?

Les défaites référendaires ont aussi désillusionné bien des baby-boomers qui ont trouvé consolation dans le nombrilisme cynique, comme les personnages des films de Denys Arcand.

Le déclin de la pratique religieuse fut peut-être rapide chez nous, mais nous continuons à voir le monde d’une manière religieuse. Nous avons donc embrassé la modernité avec la ferveur et le manque de sens critique des croyants.

Évidemment, quand vous ignorez votre passé, vous refaites les mêmes erreurs. Et quand vous ne savez pas qui vous êtes, vous devenez ce que les autres veulent que vous deveniez.

Est-ce vraiment grave ? Il faudrait demander aux Cajuns ou aux Acadiens, parce qu’au Québec, rien n’est jamais grave. Sauf évidemment si le Canadien ne faisait pas les séries.